Cucugnan, ses montagnes, sa tramontane. Le petit village est niché à quarante kilomètres de Perpignan, au sud de la France, au milieu des montagnes et des vignobles. Des ruelles pavées, de petites maisons pittoresques, une centaine d’habitants à peine.
Au milieu de ce décor authentique trône un moulin seigneurial, surplombant le village. Ce moulin, c’est celui de Roland Feuillas. Artisan, meunier, boulanger, philosophe… Roland est devenu la pierre angulaire du village.
A l’époque, Cucugnan était connu pour son curé, popularisé par Alphonse Daudet. Désormais, les « Lettres de mon moulin » ont fait place aux » Maîtres de mon moulin « . L’emblème, c’est le boulanger.
« Alphonse Daudet disait ‘quand les hommes auront laissé tombé les moulins à vent comme ils laissent tomber la poésie, l’humanité aura de grands soucis à se faire’. Je me suis donc dit : pour contrer ces grands soucis, la solution est évidente. Il faut refaire tourner les moulins à vent (…) S’il y a un symbole extrêmement structurant de toute notre histoire et notre spiritualité, c’est bien le pain » philosophe Roland Feuillas.
A l’ombre de son moulin, Roland a fait du champ voisin son laboratoire. Il y teste des variétés de blé vieilles de plusieurs millénaires. Ces semences viennent d’Israël, de France ou de Grèce.
« Il y a parmi ces blés anciens des chefs d’oeuvre, des trésors perdus »
Roland Feuillas est, avant tout, un amoureux de la nature. Un militant aussi. « Il faut réécrire le mot nature avec un grand N. Ce qui commence par une majuscule est sacré. Le Pain aussi mérite un grand P. Il est vivant. Il est le fruit du travail des hommes depuis des millénaires. Jeter du pain, pour moi, c’est un sacrilège ».
Les farines sont amenées au cœur de l’atelier des Maîtres de mon moulin : le Fournil. C’est l’antre des artisans boulangers. Ici, pas de levure, pas de son, pas d’additifs en tout genre. Seuls trois ingrédients : de la farine, de l’eau et du sel. « Tout repose sur la semence, sur le blé. Plus on remonte dans le temps dans les variétés de blés, plus ces variétés sont riches en nutriments » explique Roland.
La farine est mélangée à l’eau pour générer du levain naturel. La pâte fermente ensuite pendant près de 20 heures dans une chambre froide. Les boulangers peuvent alors l’étaler sur la table, la mettre en forme, puis la faire reposer. « On ne la façonne pas. On laisse le pain le plus libre possible. C’est pourquoi vous ne trouverez jamais de baguette ou de pain aux noix, aux figues, aux olives ici » explique Paul, employé à la boulangerie. « Je le résumerais en un mot, le pain est sacré. Il mérite le respect absolu » conclut Roland.
Une approche presque religieuse du pain. « Je me base sur le serment d’Hippocrate : ‘primum non nocere’, autrement dit, premièrement ne pas nuire. Ne pas nuire au pain avec une cuisson trop forte pour aller plus vite. Ne pas nuire à l’agriculteur en utilisant des pesticides. Ne pas nuire au consommateur en lui fournissant un pain indigeste ».
Cette approche a tout de même un coût : entre 7 et 10 euros le kilo. Qui pourrait croire que ce projet si particulier s’exporterait bientôt en pleine cité industrielle, à Charleroi?
C’est pourtant bien le cas. L’idée est née d’une rencontre entre Georgios Maillis et Natacha Blanchart, couple originaire de la région, et Roland Feuillas. « Après le charbonnage, après tout ce passé industriel, un projet nourricier comme celui-ci est un symbole de retour de la vie à Charleroi » sourit Natacha.
Endroit choisi pour cette boulangerie hors du commun en terre carolo : les Terrils du Martinet. Une terre désaffectée, chargée d’un lourd passé minier.
Le projet devrait voir le jour à la mi- 2020. A terme, la boulangerie devrait employer une vingtaine de personnes, et travailler avec les agriculteurs de la région. L’ambition est d’en faire le centre d’excellence du pain en Belgique.
A Charleroi, comme à Cucugnan, Roland veut retrouver le sens sacré du mot Nature. Ecrire le mot « pain »… avec un grand P.
Source: RTBF
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