Arthur de Rouw: “Faire tout soi-même, avec le souci du détail et du goût »

C’est à Vught, à un jet de pierre de Bois-le-Duc, que l’on trouve la plus belle et la meilleure pâtisserie des Pays-Bas. Cela fait soixante ans déjà que la pâtisserie de Rouw y a établi ses quartiers. La petite pâtisserie de village que papa et maman de Rouw avaient achetée en 1962 s’est transformée en une pâtisserie renommée, qui sera bientôt dirigée par une troisième génération de de Rouw. Durant ces six décennies d’existence, le commerce n’a jamais déménagé et occupe toujours le même immeuble de la Kloosterstraat.

“Mes parents possédaient une modeste boutique au coin de la rue”, raconte Arthur de Rouw, qui gère aujourd’hui la pâtisserie avec son épouse Doris. “Papa y fabriquait quelques gâteaux et biscuits simples et achetait des pralines et du pain, mais n’a jamais investi dans du nouveau matériel ou de nouvelles techniques. Je me rappelle encore son petit four au charbon dans lequel vous ne pouviez pas cuire plus de quatre plateaux de biscuits simultanément. De nos jours, ce genre de commerce ne serait plus rentable.”  

Un stage pour trouver l’inspiration de toute une vie 

Formé à l’école de boulangerie pour entrepreneurs de Wageningen, Arthur a rapidement compris qu’un changement de stratégie était nécessaire pour que le commerce de ses parents reste florissant. “Au terme de ma formation, j’ai effectué un stage de trois mois chez Huize van Wely, que beaucoup considéraient à l’époque comme la meilleure et la plus emblématique entreprise de pâtisserie des Pays-Bas. C’est alors que j’ai eu la chance de rencontrer Pieter Booij qui, en plus d’être un artisan hors pair, était animé d’une vision entrepreneuriale bien claire”, poursuit Arthur.

“Ces trois mois de stage m’ont apporté énormément. Quant à la philosophie et à la vision de Pieter, elles m’ont à ce point inspiré que j’ai décidé de les appliquer à notre entreprise familiale pour le reste de ma carrière. Ma femme Doris a d’ailleurs passé elle aussi quelques mois chez Huize van Wely à Noordwijk et Amsterdam, afin de comprendre ce style et cette philosophie.”

Spécialisation

“Il est essentiel qu’on soit passionné par ce qu’on fait et qu’on n’ait pas le sentiment de devoir aller travailler”, estiment Arthur et Doris de Rouw.

C’est à ce moment-là qu’Arthur a compris qu’il n’y avait d’avenir que pour deux types d’entreprises. “Soit vous cherchez à avoir le plus de clients possible et à maximiser votre production avec le moins de travail manuel possible, soit vous vous spécialisez avec des mots d’ordre tels que le souci du détail, une attention particulière pour le goût et le respect du produit. C’est de cette seconde catégorie que je voulais me revendiquer : je voulais faire tout moi-même et ne laisser à personne d’autre le soin de griller mes noisettes, de broyer mon praliné, de pocher nos lettres en chocolat et de fabriquer notre propre confiture et notre propre advocaat.” 

Arthur allait développer et perfectionner toutes ces techniques, avant de les introduire, lentement mais sûrement, dans sa pratique professionnelle. “J’ai agi avec subtilité, à l’insu de mes parents ou de mes collaborateurs, qui ne comprenaient pas encore ma philosophie à cette époque ou auraient réagi négativement. Entretemps, heureusement, la donne a complètement changé et nous impliquons de plus en plus nos collaborateurs dans nos idées et réflexions afin qu’ils puissent évoluer dans leurs tâches et prendre du plaisir au travail.”  

Une opportunité en or grâce à Pieter Booij

Cette philosophie et cette vision mèneront la pâtisserie de Rouw loin. Très loin, même. En 2008, Pieter Booij quitte l’association Relais Desserts International et propose que ce soit Arthur qui le remplace. “Toutes sortes de nouvelles opportunités se sont alors présentées à moi, et j’en suis très reconnaissant à Pieter. Vous découvrez d’autres ateliers et magasins, rencontrez des confrères internationaux épousant une large palette de styles et de spécialités, partagez des recettes, débattez des avantages et inconvénients des nouvelles machines et techniques, etc. Bref, cela a été un véritable enrichissement, pour moi-même comme pour notre commerce.”  

Pourquoi l’association Relais Desserts International ne compte-t-elle pas davantage de membres aux Pays-Bas, alors ? “Bonne question. On peut effectivement se demander pourquoi je suis le seul représentant de notre pays au sein de ce groupement. Ce n’est pourtant pas le talent qui manque aux Pays-Bas, mais je pense que cela n’intéresse pas tout le monde d’adhérer à un club ouvertement français. Les Néerlandais préfèrent parler anglais ou allemand, et cette barrière linguistique est peut-être de nature à rebuter des collègues qui, par ailleurs, adhèrent eux aussi à une philosophie mêlant rigueur et élégance. Pour d’autres collègues, le but ultime est plutôt les World Chocolate Masters ou la Coupe du Monde de la Pâtisserie. Ceci dit, pouvoir offrir chaque jour des produits haut de gamme à sa clientèle, c’est aussi une compétition, en quelque sorte. Le marché de la boulangerie est peut-être moins dense aux Pays-Bas qu’en Belgique, mais la qualité moyenne a augmenté et beaucoup de jeunes entreprises réalisent de l’excellent travail.”

Chez les de Rouw, la pâtisserie française reçoit la même attention que les classiques de la pâtisserie néerlandaise.

Ce sont les détails qui font la différence

Au sein de la pâtisserie de Rouw, il n’y a pas de place pour l’approximation. De l’accueil des clients et visiteurs au magasin et dans les bureaux aux plafonds en acier inoxydable avec éclairage LED intégré et aux bordures de protection qui ornent chaque mur en passant par les vestiaires et salles de dégustation, les toilettes, la préparation ou la distribution, tout est réglé comme du papier à musique. Trouver ne serait-ce qu’un petit bémol est un sacré défi. Outre les produits ultrafrais qui peuplent le comptoir réfrigéré, le client trouvera, partout dans le magasin, des douceurs sucrées ou salées préemballées à emporter. Quant aux vendeuses, elles vous proposent continuellement des produits à goûter, qu’elles ne se contentent pas de disposer sur un plateau à côté de la caisse, mais vous servent personnellement, avec un mot d’explication à la clé par-dessus le marché ! 

“Mon épouse considère qu’il est plus important que jamais que le consommateur se sente le bienvenu dans notre magasin, et nous formons nos assistantes de vente en conséquence. Chez nous, la procédure d’intégration de nos collaborateurs se déroule selon une méthode appliquée avec succès depuis plus de 25 ans et qui prévoit beaucoup d’explications et d’expérimentations. Nous misons sur le savoir-faire et l’innovation dans tous les domaines. Nous sommes une entreprise qui cultive l’apprentissage actif. Qui plus est, les stagiaires aiment beaucoup venir apprendre le métier chez nous, car tout est fait maison, du fourrage à la décoration.” 

Réseaux sociaux et médias traditionnels

“Le monde change, et l’entreprise n’échappe pas à la règle”, poursuit Doris de Rouw. “Nous vivons une époque étrange, qui demande beaucoup de flexibilité afin de ne pas être dépassé par la vitesse à laquelle s’enchaînent les changements. Des changements que nous accueillons, tout comme nos collaborateurs enthousiastes, dans un esprit d’ouverture. C’est aussi pourquoi nous sommes actifs depuis plusieurs années sur divers réseaux sociaux, comme Instagram et TikTok (où nous comptons respectivement plus de 100 000 et 45 000 followers), Facebook, Twitter, LinkedIn et Google. “Les réseaux sociaux, c’est le bouche-à-oreille des temps modernes”, déclare Doris.

“Cela étant, nous ne négligeons pas non plus les médias traditionnels. Nous avons encore toutes les semaines un encart publicitaire dans un hebdomadaire local gratuit et informons les clients de nos nouveaux produits au moyen d’un dépliant. Nous accueillons quatre générations de consommateurs, auxquels nous voulons proposer des produits qui leur conviennent, via le canal de communication qui leur convient. Et après toutes ces années, nous pouvons confirmer que les réseaux sociaux apportent une vraie plus-value, à condition que ce que vous proposez en magasin soit conforme à vos promesses sur les réseaux sociaux.” 

“Notre communication se prolonge en magasin”, poursuit Arthur. “Peut-être notre magasin est-il relativement petit ou celui de nos collègues est-il un rien trop grand, mais nous avons en tout cas un très bon débit de clients avec la superficie dont nous disposons et l’agencement que nous avons choisi.”

Des produits frais : une réalité, pas un slogan publicitaire !

Chez de Rouw, pas question de transiger avec la fraîcheur des produits. “Mes grandes sources d’inspiration étaient la pâtisserie Mahieu à Stokkel et Huize van Wely à Noordwijk, deux commerces où la variété des produits frais et la rapidité des ventes m’ont toujours impressionné. J’applique moi-même ces deux critères pour évaluer la qualité d’un commerce. Si vous voulez préparer des gâteaux à la pâte feuilletée avec une crème légère et des fruits frais, vous devez y mettre toute votre conscience. Hors question de les récupérer : c’est vendre ou jeter ! La fraîcheur, n’est-ce pas ce que les clients attendent d’un commerce spécialisé ? C’est à ce niveau-là qu’il faut faire la différence”, affirme Arthur.

“Aujourd’hui, nous observons une vague d’automatisation au niveau de la pâtisserie et de la chocolaterie artisanales. Des produits tels que des macarons et des barres ou tablettes de chocolat sont fabriqués avec des moyens non plus humains, mais mécaniques. Ce n’est pas un problème à nos yeux, mais nous ne jurons que par la pâtisserie fraîche. En ce qui concerne les produits, nous ne dédaignons pas une tarte aux pommes, un gâteau à la nougatine ou des choux à la crème avec du chocolat. Ils côtoient dans notre étalage des spécialités françaises de pâtisserie avec des glaçages et des mousses à la décoration stylée et nous les vendons à un prix correct et abordable. Nous ne sommes pas à New York ou Tokyo, où les prix flambent.” 

La décoration est un autre aspect auquel Arthur et Doris accordent beaucoup d’importance. Un produit de pâtisserie, ça doit avoir de la couleur et une dimension festive. “C’est pourquoi nous avons investi dans un WaterCut, mais nous ne l’utilisons pas aveuglément. Chaque décoration est le fruit d’une réflexion, chaque gâteau hérite d’une présentation soignée qui va bien au-delà de quelques logos que l’on colle çà et là. Nous réalisons de jolies créations chocolatées, mais on doit rester dans un processus artisanal. Nous ne voulons pas que nos clients s’offusquent que la décoration ait été réalisée par une machine.” Et les produits frais qui restent invendus ? “Nous les écoulons via des canaux tiers tels que des restaurants, qui proposent des tartes, des gâteaux et des macarons à la carte ou en buffet, selon le style maison”, explique Arthur.

Photo: Ce sont les détails qui font la différence.Dans la pâtisserie de Rouw, tout est réglé comme du papier à musique.

Les défis de l’entrepreneur

“Aujourd’hui plus encore qu’hier, un entrepreneur doit être obnubilé par les chiffres. Quelles entreprises sont armées pour durer ? Quels entrepreneurs disposent d’une poire pour la soif suffisante pour résister à l’inflation dopée par la hauteur des prix des matières premières et des charges salariales ? Je crains une hécatombe dans le monde de l’entreprise en 2023. Avec l’inflation qu’on connaît actuellement et qui succède à la crise du coronavirus, je m’attends à ce que 20 à 30 % des commerces mettent la clé sous le paillasson dans les deux ans qui viennent, y compris en Belgique.”

Vous êtes propriétaire de l’immeuble qui abrite votre commerce ou vous louez celui-ci ? Vous avez des prêts en cours ou de lourds crédits à rembourser ? Vous êtes confronté à un gros roulement de personnel ou à beaucoup de postes vacants ? Vous pouvez maintenir votre niveau de qualité ou celui-ci n’est guère supérieur à ce que peut offrir un supermarché, ce qui pèse lourdement sur votre rentabilité ? “Autant de questions auxquelles il vaut mieux ne pas être trop confronté. Les coûts énergétiques et les frais de personnel, personne n’y échappe, vous ne pouvez pas y changer grand-chose en tant qu’entrepreneur. À moins d’avoir la chance d’encore disposer d’un contrat fixe de longue durée…” Au fil de l’année 2022, la pâtisserie de Rouw a revu ses prix à la hausse. En un an, ceux-ci ont augmenté de 15 à 20 %. “Nous n’avions pas le choix dès lors que nos coûts ont fortement augmenté et que nous voulons continuer à investir dans notre organisation à l’avenir.” 

“D’ailleurs, à propos du coronavirus, il faut savoir qu’aux Pays-Bas, les subsides seront recalculés et qu’un remboursement partiel en sera réclamé. À partir du mois de mai 2023, les entrepreneurs néerlandais devront rembourser cette dette fiscale. En ce qui nous concerne, nous avons heureusement pu rembourser en quelques mois les aides que nous ont octroyées les pouvoirs publics et nous avons pu prolonger juste à temps notre contrat d’énergie de quelques années. Qui plus est, nous ne souffrons pas comme d’autres d’un manque de personnel. Nous offrons à nos collaborateurs des horaires confortables et un bel environnement de travail et nous nous attelons à les impliquer à temps dans nos idées et processus. Du coup, personne chez nous ne vient travailler avec des pieds de plomb.”  

Photo: Il faut que le client sente qu’il est le bienvenu et les personnes qui travaillent au magasin sont formées en conséquence.

Entreprise socialement responsable

La durabilité est un pilier important auquel le couple de Rouw travaille concrètement. “Nous trions encore mieux nos déchets, avons isolé tout notre bâtiment et installé de l’éclairage LED partout, consommons électricité, gaz et eau de manière responsable, évitons le gaspillage des matières premières et des produits et achetons nos fruits à des producteurs locaux. Bref, nous nous inscrivons résolument dans une démarche durable et communiquons également à ce propos”, développe Arthur.

“Une entreprise socialement responsable doit également se soucier de son personnel. Les personnes qui travaillent chez nous sont de vrais professionnels. Autrefois, les pâtissiers commençaient leur journée à quatre heures du matin, mais de tels horaires constituaient un handicap social. Les choses ont progressivement évolué à cet égard : aujourd’hui, nos pâtissiers et chocolatiers entament leurs prestations à cinq heures trente. Des efforts ont été consentis de part et d’autre pour en arriver là, avec comme fil conducteur l’absence de toute concession quant à la qualité des gâteaux frais du jour.” 

Arthur et Doris aspirent également à ce que les cinquante collaborateurs qu’ils emploient aujourd’hui les considèrent comme de bons employeurs. Pour ce faire, ils n’hésitent pas à leur offrir des massages assis hebdomadaires ou à payer à leurs vendeuses une séance chez un visagiste professionnel le samedi. “Nous sortons ainsi du lot et récoltons les fruits de cette politique puisque l’absentéisme pour maladie est négligeable chez nous et nous n’éprouvons pas de difficultés à remplir nos emplois vacants.” 

Troisième génération

Arthur et Doris ont tout lieu de se montrer optimistes pour l’avenir de leur pâtisserie. Leur fille Lisa et leur fils Niels suivent une formation respectivement à Summa Eindhoven et à l’école hôtelière de Maastricht et projettent d’effectuer des stages ciblés en préparation de glaces, tartes, macarons et – qui sait ? – viennoiseries en France, en Italie, aux USA et en Suisse. “Nous constatons que Lisa et Niels comprennent notre philosophie et qu’ils l’appliquent également”, se réjouit Arthur. Niels de Rouw a remporté l’an dernier les championnats des Pays-Bas réservés aux jeunes boulangers et pâtissiers. 

“Je conseillerais à la nouvelle génération de suivre la formation la plus vaste possible afin de bien maîtriser toutes les disciplines. Les premières années, bien apprendre le métier est plus important que gagner de l’argent. L’aspect financier, cela viendra plus tard. Bien entendu, il est essentiel également que vous soyez passionné par ce que vous faites et que vous n’ayez pas le sentiment de devoir aller travailler. Cette passion est nécessaire pour durer dans notre profession et pour avoir une vie de famille et du temps pour des hobbys et du sport.”

Texte : Bureau 44

Photos : Pâtisserie de Rouw

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.